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Gilles Finchelstein

Directeur général de la Fondation Jean Jaurès


Les deux noms de la République

« Je veux que la République ait deux noms : qu’elle s’appelle Liberté, et qu’elle s’appelle chose publique ». Ce sont les mots de Victor Hugo dans Choses vues, recueil de notes et de mémoires publié à titre posthume en 1887 et 1900.

S’interroger sur les nouveaux enjeux auxquels la République doit faire face, c’est donc s’interroger sur ce qui peut mettre à mal notre liberté et la chose publique.

Ce qui peut mettre à mal notre liberté ? D’abord tout ce qui s’attaque frontalement à elle, à commencer par le terrorisme, et l’intégrisme religieux, dont 85 % des Français pensent que c’est un problème de plus en plus préoccupant dont il faut s’occuper sérieusement[1]. Ce sont ensuite les attaques contre la laïcité, composante essentielle de notre République et garantie inconditionnelle de la liberté de conscience des individus. Ce sont aussi les remises en cause de notre système démocratique - à commencer par les populistes -, système qui doit prendre sa part nécessaire de rénovation, mais dont 33 % des Français considèrent que d’autres systèmes politiques peuvent être aussi bons[2]. Ce qui peut mettre à mal nos libertés, c’est enfin cette dictature invisible d’un numérique non régulé, des fake news au traitement des données.

Ce qui peut mettre à mal la chose publique ? D’abord et avant tout la défiance. Défiance envers les responsables politiques et les pouvoirs publics, qui ne s’est pas évaporée avec la « Révolution de velours » qui est passée par notre pays au printemps 2017 : sept français sur dix considèrent encore que la plupart des femmes et des hommes politiques sont corrompus, huit sur dix que les femmes et hommes politiques agissent principalement pour leurs intérêts personnels. [3] Défiance envers les responsables politiques donc, mais aussi défiance envers le savoir, la connaissance, dont l’essor et la profusion des théories conspirationnistes, notamment chez la jeune génération, est sans doute l’illustration la plus frappante : 55 % de nos concitoyens pensent que « l’industrie pharmaceutique est de mèche avec le ministère de la Santé pour cacher au grand public la nocivité des vaccins », 9 % que « la terre est plate et non pas ronde comme on nous l’apprend à l’école »[4]. Ce qui peut inverser la défiance ? Évidemment, l’efficacité et la justice des politiques publiques menées, évidemment l’intégrité et l’exemplarité des responsables publics qui les portent, et évidemment, le fait que ces derniers donnent du sens à l’action conduite.

Protéger pour garantir nos libertés fondamentales, rassurer et expliquer, encore et encore, pour garantir la primauté de la science, de la raison, et de la politique sur les croyances : voilà les enjeux de la République, et sans doute de notre siècle.

Gilles Finchelstein

Directeur général de la Fondation Jean Jaurès


[1] Fractures françaises 2017, vague 5, Fondation Jean-Jaurès, Le Monde, Sciences Po, juin 2017

[2] Op. cit

[3] Op. cit

[4] Le conspirationnisme dans l’opinion publique française, Fondation Jean-Jaurès et Conspiracy Watch, janvier 2018.