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Guillaume Bachelay

Ancien député de Seine-Maritime, conseiller municipal délégué de Grand Quevilly


Hommage à Jean d’Ormesson

« Je n’ai plus qu’une ambition, celle d’être un écrivain français. » Ce vœu, Jean d’Ormesson l’exprimait dans Garçon de quoi écrire paru en 1989. Au fil de la conversation avec François Sureau, il précisait sa pensée : « Par "écrivain français", je ne mets rien de nationaliste. Tout écrivain qui écrit en français mérite ce qualificatif (…) La langue et la littérature françaises sont ma vraie patrie, bien davantage que la France physique, que l’Hexagone. » Un peu plus loin, évoquant « une certaine vocation à l’universalité », il ajoutait en souvenir de Malraux : « la France n’est jamais plus la France que lorsqu’elle parle pour les autres ».

J’ai repensé à ces mots lorsque Jean d’Ormesson nous a quittés. Et aussi aux paroles qu’il avait prononcées en mars 2016 à l’Assemblée nationale après avoir reçu le prix des députés pour Je dirai malgré tout que cette vie fut belle. Dans le jury accueillant la pluralité des options politiques, son livre avait fait l’unanimité. Dans ce livre-odyssée dont il avait emprunté le titre à Aragon, l’auteur se faisait procureur et accusé, mêlant en un même souffle le tourbillon de sa vie et le vent de l’histoire collective : « Il me semble qu’il y a mieux que la mémoire : c’est l’imagination. Et il me semble qu’il y a mieux que le passé, c’est l’avenir ».

Ces convictions prononcées à presque trente ans de distance sont un message d’humanisme forgé auprès d’un père diplomate qu’il suivit à travers le chaos du monde de l’entre-deux guerres, auprès de ses maîtres à l’Ecole Normale, dans le dialogue des cultures à l’Unesco, à l’Académie française dont il fut le benjamin et où il fit entrer Marguerite Yourcenar, mais aussi dans les vagabondages de la vie à Portofino, Capri, Kalymnos, Oaxaca.

Oui, les textes de Jean d’Ormesson, l’ami de Caillois, d’Aron, de Jeanne Hersch, nous parlent et d’abord l’histoire-fiction, ce genre qu’il inventa. Parmi toutes les histoires à raconter, c’est celle de l’Histoire elle-même qu’il restitue avec ses époques et ses ricochets. De La Gloire de l’Empire à Et moi, je vis toujours, la création adossée au style cherche à embrasser la totalité du récit humain, de la connaissance, de l’existence. L’écrivain ne délivre pas des commandements, pas plus qu’il ne donne des leçons. Il nous invite à porter sur le monde un certain regard, une sensibilité nourrie par l’étonnement et la tolérance. 

C’est le don inestimable de la littérature à la politique : l’humanisme plutôt que l’économisme, les lettres et pas seulement les chiffres, le passé qui prend son sens par l’avenir, le futur qui n’est pas un aérolite, l’imagination qui permet aux âmes d’affronter les défis communs. Voilà pourquoi nous lisons et nous lirons l’œuvre de Jean d’Ormesson.

Guillaume Bachelay, ancien député de Seine-Maritime, est conseiller municipal délégué de Grand Quevilly. Dernier ouvrage paru : La politique sauvée par les livres.