Catherine Clément

De Gaulle, La fabrique du héros
Éditions TohuBohu


Il a le format d’une valeur sûre : celui de l’album de famille carré, de l’époque lorsque l’on collait les photos sur les épaisses pages cartonnées, pour ensuite les tourner et les tourner encore. De Gaulle, la fabrique du héros de Catherine Clément (éditions Tohu-Bohu) est de la «bel ouvrage» : photographies, fac-similés et même flash-codes renvoyant à l’écoute d’archives audios.  Parmi ces émouvants fac-similés – même s’il s’agit de fac-similés, avez-vous eu l’heur d’avoir entre les mains, ces discours historiques du général, tapés à la machine et annotés de sa main ? -  la feuille de notes de Charles de Gaulle à l’Ecole Spéciale Militaire, le 9 septembre 1912 : s’il excelle dans les matières de l’Histoire militaire (17, 5), des fortifications (19), et sans surprise de la morale et l’éducation (17,5), un de ses rares points faibles est l’allemand (13, 21).

Le livre de Catherine Clément n’est pas un ouvrage de plus à propos du général de Gaulle. « J’ai commencé par le détester » : ainsi la lecture s’ouvre-t-elle sur cet aveu magistral de la part de l’auteur. «Le 28 mai 1958, Pierre Mendès France et François Mitterrand appelèrent la gauche à manifester contre le «coup d’Etat du Général », rappelé au pouvoir par les militaire en pleine guerre d’Algérie. J’y étais. J’ai chanté joyeusement « Adieu de Gaulle, adieu » en mai 68 dans la cour de la Sorbonne.» Détester est de notre époque : «Et voilà que je cherche à comprendre ce héros singulier dont se réclament la droite, la gauche, le centre et jusqu’à l’extrême droite, ce grand diable en képi, sauveur de la patrie, qui semble devenu l’équivalent de Jeanne d’Arc… ». Aujourd’hui, le général de Gaulle est la référence à gauche comme à droite. 

Il y a la forme, et puis  le style : « Toute ma vie, je me suis fait une certaine idée de la France ». Cette première phrase des Mémoires de guerre en évoque une autre : « Longtemps je me suis couché de bonne heure. ». Catherine Clément prévient : «Rapprochement absurde ! Rien de commun entre l’écrivain réformé qui ne fit pas la guerre et son cadet de vingt ans, blessé, capturé et qui, pendant la Grande Guerre, tenta cinq fois de s’évader du camp de l’ennemi. Rien de commun entre le sauveur du pays et l’asthmatique décrivant le déclassement de l’aristocratie après 1918 ;  Rien ? Peut-être bien que si (…). » La femme de Lettres et philosophe qu’est Catherine Clément, fut aussi élève de Jacques Lacan : «Proust aura passé sa vie à se faire une idée d’une femme sublime, décevante de près. Le sensible Charles de Gaulle, dont il ne faut jamais méconnaître l’affect, se représente la France en princesse ou madone, une jeune fille pleine de grâce. Déçoit-elle de près ? Non, car elle est pure. La déception vient de ceux qui l’entourent, ces Français qui ne l’on  pas sauvée en 1940. Une France à réparer, comme Anne, (sa fille trisomique) qu’il appelait « ma joie »,

De Gaulle, la Fabrique du héros est une belle réussite esthétique et un livre d’Histoire rigoureux qui éclaire le présent : il a un singulier effet miroir avec L’archipel français de Jérôme Fourquet, Prix du Livre Politique 2019, et Comment gouverner un peuple roi de Pierre-Henri Tavoillot, Prix des Députés 2019. Deux ouvrages qui analysent ce que le général de Gaulle appelait quand cela ne va pas, une « absurde anomalie » face au « génie de la patrie ».

 

Le Regard de Pascale