François d’Orcival

Membre du Jury du Prix du Livre de Géopolitique, membre de l’Institut, membre de l’Académie des Sciences Morales et politiques, éditorialiste à Valeurs actuelles et au Figaro Magazine


Tout soldat est un géographe

 

La première chose qu’un chef apprend à ses soldats, c’est à observer. L’arbre, le cours d’eau, le talweg, le pli du relief, la courbe des niveaux, bref, la carte. Ce que le soldat ne voit pas, il cherche un moyen de le voir, grâce à la tour, au ballon, à l’avion, au satellite, au drone. Il ne cesse de porter son regard aussi loin qu’il le peut. Ses mouvements en dépendent, c’est-à-dire sa tactique, qui n’est qu’un élément d’une stratégie qui lui échappe. Il est géographe par nature, même sans le savoir.

Dans les premières années du siècle dernier, un honorable député britannique nommé James Bryce allait de société de géographie en société de géographie prononcer des conférences pour expliquer  que ce qui était méconnu jadis était devenu « un axiome universellement admis », à savoir que l’histoire militaire d’un pays ne pouvait s’écrire « sans en connaître les rivières, les montagnes, les lignes de communication par terre et par eau ». Ce qui signifie que jusque là, on n’en avait pas tout à fait conscience. Et pourtant, Napoléon avait bien dit que la politique d’un Etat était dans sa géographie. Mais faisait-on le lien ?

L’un des pères de l’école française de géographie, Yves Lacoste, raconte une anecdote que lui avait confiée Fernand Braudel. Celui-ci, tout jeune agrégé d’histoire-géographie en 1923, s’était rendu auprès d’Emmanuel de Martonne, digne professeur de géographie en Sorbonne et gendre du célèbre Vidal de la Blache, pour lui proposer un sujet de thèse : « Sur les frontières de la Lorraine ». Martonne l’avait renvoyé à ses études d’un « Ce n’est pas de la géographie, au revoir monsieur ! »… C’est dire si l’on était encore loin de concevoir ce que l’on désignerait par géopolitique, cette relation réciproque existant entre géographie, histoire et politique. Par exemple, cette observation si évidente aujourd’hui qui ne l’était peut-être pas hier, et toujours d’Yves Lacoste : « Toutes les entreprises coloniales ont d’abord été des entreprises géographiques ». C’est bien sur des cartes que se lisent les empires. 

François d’Orcival, Membre du Jury du Prix du Livre de Géopolitique, membre de l’Institut, membre de l’Académie des Sciences Morales et politiques, éditorialiste à Valeurs actuelles et au Figaro Magazine