Louis Gautier

Membre du Jury du Prix du Livre de Géopolitique, Conseiller maître à la Cour des comptes, professeur à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, ancien Secrétaire général de la Défense et la sécurité nationale (2014-2018), Chargé de mission sur la défense européenne par le Président


Les nations en partage et l'Europe en commun

Que peuvent encore exprimer pour un Européen, « nationalisme » et « civilisation », ces deux notions fatiguées par  l’histoire et vieilles de plus de deux cents ans ? L’exaltation du sentiment national au départ émancipateur fut la cause de deux conflits mondiaux avec à la clef ce jugement sans appel : « Le nationalisme c’est la guerre » ! Quant au terme de civilisation, qu’il désigne un « monde », un « siècle » ou un « empire », quelle qu’en soit l’acception, il induit l’idée du dépassement de la nation, tantôt par le rayonnement, tantôt par la conquête et la domination. Que de crimes furent alors commis en ce nom !

 Criblé par ce passif, le nationalisme d’un Orban ou Salvini, n’est idéologiquement pas en mesure de beaucoup prétendre et c’est un moindre mal. Il obéit à des logiques d’involution, de déconstruction et de régression. Le mouvement  national-populiste qui déferle sur l’Europe n’est, en effet, porteur d’aucune réelle volonté d’affranchissement (on ne quitte pas l’Euro) ou d’émancipation (on ne quitte pas l’OTAN), d’aucun grand projet collectif sinon celui du repli sur une réalité nationale défunte ou fantasmée. Il n’exprime que de pauvres valeurs rabougries et des revendications identitaires que personne ne contesterait si elles restaient respectueuses du droit d’autrui. Mais en désignant comme bouc émissaire l’Union européenne et en cherchant à en bloquer le progrès, ces gouvernements populistes empêchent, en revanche, de déverrouiller ce qui constitue le point de butée de la construction européenne : son déficit démocratique. En vulnérabilisant l’Union, ils l’empêchent, en outre, de jouer un rôle plus protecteur. Partant, ils fragilisent absurdement leur propre sécurité et celle de leurs voisins.

Pour les pères fondateurs, la construction européenne n’était envisageable qu’en dépolitisant et en dénationalisant son projet. Ce qui, au début, était une condition sans doute nécessaire est cependant devenu un parti pris non viable au fur et à mesure des transferts de compétences et de souveraineté. De là vient que, de crise en crise, depuis bientôt quinze ans, l’Union se délite sous nos yeux. A chaque fois, l’élément déclencheur concerne des domaines régaliens dans lesquels les positions des Etats ne parviennent pas à suffisamment converger, qu’il s’agisse de la zone euro, de l’espace Schengen ou de la politique étrangère, de défense et de sécurité. C’est donc là qu’il faut travailler à mieux coopérer.

L’Europe désormais, c’est en fonction du monde qu’il faut la faire, non de façon nombriliste à partir d’un modèle autocentré et auto-référencé et, encore moins de façon passéiste, en touillant dans la vieille gamelle des nationalismes. Face aux menaces pesant sur l’intégrité, la sécurité et la stabilité de l’UE, les Etats membres ont de plus en plus besoin de renforcer leurs réponses collectives. Faute de volonté et d’accord, face à la Chine, à la Russie mais aussi aux Etats-Unis, ils défendent mal leurs intérêts communs. Ils seraient, en outre, incapables de gérer une crise majeure de sécurité déclenchée à l’intérieur de l’Union ou dans sa périphérie. Là sont les vrais enjeux. S’ils restent désunis et l’arme au pied, les Européens sont assurés d’être les grands perdants d’un XXIème siècle qui n’est certainement pas prêt à leur faire des cadeaux. Nations et civilisation européennes se conjugueront au passé.

Louis Gautier, Membre du Jury du Prix du Livre de Géopolitique, Conseiller maître à la Cour des comptes, professeur à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, ancien Secrétaire général de la Défense et la sécurité nationale (2014-2018), Chargé de mission sur la défense européenne par le Président