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pierre haski

Liu Xiaobo, L’homme qui a défié Pékin

Hikari

« Liu Xiaobo : une vie au service de la démocratie »

 

 Liu Xiaobo. Ce nom est déjà quasiment tombé dans l'oubli, et pour cause, le gouvernement chinois s'est personnellement chargé de ne pas honorer mais surtout de censurer la mémoire de cet homme. Liu Xiaobo, homme de lettres, fervent défenseur de l'instauration de la démocratie en Chine et de la non-violence, Prix Nobel de la Paix en 2010, a tout du héros moderne, et pourtant il décède d'un cancer en prison le 13 juillet 2017. C'est pour honorer son combat, sa mémoire et lutter contre l'oubli que Pierre Haski publie ce brillant et nécessaire ouvrage, Liu Xiaobo, L'homme qui a défié Pékin.

De Taipei à New York, Pierre Haski a rassemblé les témoignages d'amis, de camarades de Liu Xiaobo, de sinologues, tout en y ajoutant sa propre connaissance de la Chine, où il a longtemps été le correspondant de Libération. Fruit d'une véritable enquête, cet ouvrage revient donc sur la vie de Liu Xiaobo, ses influences philosophiques, son rôle dans le Printemps de Pékin et les manifestations de la place Tiananmen, ses écrits, ses séjours en prison, en donnant la parole à ceux qui l'ont le mieux connu. Comment cet homme, né sous le maoïsme à la même époque que Xi Jinping, est-il devenu chef de file du mouvement démocratique et, par opposition, ennemi du Parti Communiste Chinois ? Voilà l'enjeu du travail mené par le journaliste.

 Fils d'universitaires, Liu Xiaobo se passionne pour la philosophie, l'esthétique, la poésie. Alors que les années 1980 en Chine sont synonymes d'une relative ouverture vers le monde, il lit Camus, Nietzsche, Soljenitsyne, Sartre, mais également Liang Qichao et Lu Xun. Dans le cercle des intellectuels qui cassent les codes du réalisme socialiste, Liu Xiaobo s'impose comme un critique renommé, ses colloques, en Chine comme en Occident, attirent les foules. Il découvre ainsi l'Europe et les Etats-Unis, notamment New York et sa communauté de dissidents chinois. Pour autant, il refuse l'exil et, à l'aune du Printemps de Pékin en 1989, Liu Xiaobo regagne la capitale chinoise et ses étudiants mobilisés place Tiananmen pour dénoncer la corruption et réclamer la démocratie. Le militant est né. Face aux militaires, il est fervent partisan de la non-violence : « Je n'ai pas d'ennemi », déclare-t-il alors, propos qu'il reprendra lors de son procès en 2009, ce qui n'empêchera pas le massacre du 4 juin 1989. Pierre Haski accorde d'ailleurs une place significative à ce tragique événement dans son ouvrage permettant de comprendre le tournant qu'il a représenté dans l'histoire de la Chine.

 Dès lors, l'ensemble du combat de Liu Xiaobo sera lié aux « âmes errantes de Tiananmen » à qui il dédira son Prix Nobel. Entre pétitions, révoltes ouvrières, publications de pamphlets,il n'a de cesse de prôner la liberté d'expression et la démocratie. Le point d'orgue de son combat a lieu avec la publication de Charte 08 en décembre 2008 soutenue par 303 signataires et très largement inspirée de la Charte 77 de Vaclav Havel. Composée d'un préambule très politique fustigeant le maoïsme, la Charte 08 énonce cinq principes fondamentaux : liberté, droits de l'homme, égalité, républicanisme, démocratie, suivis de 19 propositions pour faire de la Chine un pays démocratique. Si ce texte n'a rien de révolutionnaire, son ampleur a probablement signé l'arrêt de mort du mouvement dissident chinois. La répression est terrible, Liu Xiaobo est arrêté deux jours avant la parution du texte, le 8 décembre 2008, il écope de 11 ans de prison ferme pour « crime d'incitation à la subversion du pouvoir de l’État ». Si le Prix Nobel de la Paix qu'il reçoit en 2010 fera connaître sa lutte et le mouvement dissident pro-démocratie à l'international, il exacerbe la répression du gouvernement contre ses membres. Liu Xiaobo, absent lors de la remise du Prix, décédera sept ans plus tard en prison.

 Inspirant et passionnant,  Liu Xiaobo, L'homme qui a défié Pékin nous rappelle que la démocratie est un combat permanent. Alors que la Chine est devenue un acteur incontournable de l'économie mondiale, la « Cinquième modernisation » semble bien loin. Malgré l'autoritarisme du régime, Liu Xiaobo a fait de la démocratisation de son pays, le combat d'une vie, et c'est en cela que l'ouvrage de Pierre Haski est si nécessaire. Lors de son procès en 2009, il se refusait encore à tomber dans le pessimisme : « Je pense que ce que je fais est juste. La Chine sera un jour une démocratie. Elle sera libre un jour. Tout le monde pourra y vivre sans peur. Je paie pour cela, mais ça en vaut le coup. Dans une dictature, la prison est la première porte vers la liberté. Mon pied a déjà franchi la limite, la liberté ne doit pas être loin. »

 

Adèle Volard