“Le Chat et le Renard”

patrice duhamel

Le regard de
philippe langenieux-villarD

Lorsque la plume d’un journaliste politique ajoute à la clarté de son sujet la mémoire des faits et une capacité solide de les analyser, le lecteur rentre sans peine dans l’arrière-scène de la décision publique et s’en délecte.

Le sujet ? Les relations entre le président de la République et son Premier ministre sous la Cinquième République. Fallait-il consacrer 300 pages aux couples exécutifs successifs qui, depuis 1958, ont dirigé la France : huit Présidents et 24 Premiers ministres ?

À ceux qui douteraient de l’intérêt de la question, je suggère la lecture de ces pages, car elles démontrent que la solidité des institutions leur permet de supporter la faiblesse des hommes, leurs calculs et leurs silences. Elles rappellent aussi aux naïfs que l’amitié politique consiste d’abord à vouloir prendre la place de l’autre sans le lui dire. Elles jettent un regard juste sur les conditions de la confiance ou de la méfiance entre les individus. En somme, elles racontent l’éphémère des complicités humaines, les ravages de la jalousie, de l’ambition, parfois même de la haine, avec leur conséquence inévitable d’une rupture qui presque toujours est présentée comme consentie de part et d’autre.

Patrice Duhamel évoque évidemment les dégâts collatéraux qui résultent des conflits larvés, lesquels dépassent évidemment le simple jardin des ministères. Tout ce qui dépend de la politique, depuis les journalistes qui la commentent jusqu’aux entreprises qui la subissent (ou en bénéficient) est témoin d’abord puis victime ensuite, du désamour exécutif.

Bien sûr, l’auteur nous délecte d’anecdotes, de bons mots (c’est-à-dire de mauvais sentiments) exprimés toujours à voix basse ou dans des bureaux fermés, permettant au lecteur de comprendre comment nait une méfiance et pourquoi elle se transforme en divorce.

Patrice Duhamel prend le soin de distinguer les périodes de cohabitation où le choix présidentiel d’un Premier ministre est contraint, des moments ou au contraire, le Président est libre de ses choix.

Pourrait-on dire que finalement, et sans doute parce qu’ils débutent dans la méfiance et s’achèvent dans le respect, les Premiers ministres de cohabitation ont moins déçu les locataires de l’Élysée que ceux qu’ils ont désignés dans l’euphorie de la victoire et la certitude de réussir ?

Peut-être faudrait-il interroger La Fontaine, très opportunément choisi par l’auteur pour débuter chacun de ses chapitres. Le fabuliste aurait alors sans doute proposé une morale de ces soixante-six ans de vie politique française.

Par exemple, celle-ci, que n’a pas utilisé Patrice Duhamel : « Chacun se dit ami, mais fol qui s’y repose. Rien n’est plus commun que le nom. Rien n’est plus rare que la chose ». (Jean de La Fontaine : Parole de Socrate — Livre IV, 17).

« Le Chat et le Renard », Patrice Duhamel, Éditions de l’Observatoire