Franz-Olivier Giesbert

La belle époque

EDITIONS GALLIMARD

Ce récit personnel couvre dix années de la vie politique française débutant sous Pompidou pour s’achever avec François Mitterrand. L’auteur y avoue clairement ses passions et ses doutes, ses enthousiasmes et ses déceptions de journaliste engagé.

Adhérent au parti socialiste, épris par la personnalité de François Mitterrand, Franz-Olivier Giesbert vote pourtant pour Chaban-Delmas lors de la présidentielle de 1974. Il avoue être finalement « de drauche », assumant ainsi une forme de neutralité mais aussi l’ambiguïté d’un parcours politique qui s’intéresse davantage aux caractères des responsables publics qu’à leurs programmes.

Conscient d’avoir un temps suivi la meute - c’est-à-dire la mode - qui plaçait le maoïsme comme référence incontournable de tout porteur d’une carte de presse, Giesbert dénonce avec force cette frénésie qui s’abattit sur les intellectuels et parmi les principaux journaux de l’époque, jugeant le dirigeant chinois « génocidaire », et « irresponsables » ceux qui le vénéraient.

Il dresse le portrait d’un Georges Pompidou hanté par la maladie, soucieux de moderniser la France et attentif à ne pas perdre le soutien des gaullistes historiques, se battant jusqu’au dernier jour avec pugnacité contre la mort, à la manière héroïque et humble des paysans.  

Au fil des pages, Giesbert, qui « écoute derrière les portes », ne tombe pas dans le piège de l’anecdote et dresse un bilan assez équilibré et raisonné des deux successeurs de Pompidou: Valéry Giscard d’Estaing et François Mitterrand.

Du président socialiste, d’abord admiré pour sa quête permanente de liberté et d’indépendance, pour sa culture (il avait toujours un livre dans sa poche) et sa finesse d’esprit, pour sa combattivité inébranlable, le journaliste retient aussi les erreurs d’analyse, par exemple à propos d’Action Directe dont il n’a pas mesuré la dangerosité, ou encore, au sujet de la déambulation ratée lors de la cérémonie du Panthéon, véritable désastre télévisuel. Il souligne « l’absence de rouerie » de Michel Rocard et l’influence de son successeur au poste de premier ministre Pierre Mauroy, qu’un attachement viscéral à Lille et à sa région du Nord a, finalement, éloigné des responsabilités gouvernementales.

Le président Giscard d’Estaing, à l’inverse, lui semble trop sûr de lui, trop hautain et maladroit dans ses relations personnelles. Pas d’intimité avec lui. Mais il lui reconnait un esprit visionnaire, des décisions courageuses (il a lancé 45 centrales nucléaires en sept ans) ne tenant pas compte des échéances électorales pour décider dans l’intérêt du pays. Avec Raymond Barre, son premier ministre, Giesbert estime que Giscard a été atteint du « syndrome de l’enfant de chœur », convaincu que le sérieux de décisions impopulaires n’entacherait pas sa chance de réélection. Le journaliste l’absout de la critique si fréquente que l’on porte à son endroit au sujet de l’immigration et du regroupement familial. Rappelant les propos d’André Postel-Vinay, son ministre de l’époque, « Nous ne pouvons accueillir la misère sans limites. Nous en péririons sans la soulager », Gisbert constate qu’en refusant le décret du 10 novembre 1977 limitant le regroupement familial, le Conseil d’Etat a « confisqué le dossier de l’immigration » et méprisé la volonté du pouvoir politique.

En arrière-plan de ces tableaux délicieusement offerts à la curiosité de lecteurs alléchés par la promesse d’une « histoire intime » de cette période républicaine, se faufile déjà la personnalité gourmande et généreuse de Jacques Chirac, futur sujet du troisième tome d’une trilogie qui devrait nous dévoiler aussi les personnalités de Nicolas Sarkozy et de François Hollande.

Mais, nous l’avons bien compris, l’intimité que dévoile surtout Franz-Olivier Giesbert, c’est d’abord la sienne: ses coups de cœur et ses coups de griffe. N’est-ce pas, après tout, là que réside le talent d’un journaliste?

Philippe Langenieux-Villard