Aron et De Gaulle

Raymond Aron

Calmann-Lévy

Un plongeon intelligent et subtil dans l’histoire de la Cinquième République ou l’analyse fine et indémodable de la vie politique en France? Cet essai puissant présenté par Jean-Claude Casanova tient en effet autant de l’analyse d’une histoire entamée sous le général de Gaulle pour s’achever avec la prise de pouvoir de François Mitterrand, que d’un précis de gouvernance pour les responsables politiques d’aujourd’hui.

Certes, certains sujets avouent une actualité ancienne. Par exemple, lorsque Raymond Aron évoque les ordonnances sur l’intéressement des travailleurs aux fruits de l’expansion, ou les chances présidentielles d’Alain Poher, « l’homme sans qualités », ou encore, lorsqu’il cache à peine son point de vue sur l’abolition de la peine de mort, comprenant ceux qui estiment que « certains crimes ne comportent pas de circonstances atténuantes et ne peuvent être punis à leur juste mesure que par la mort ».

Mais la prodigieuse magie de ces textes tient à l’analyse du pouvoir politique en général dans une France dont il estime que les réactions « se prêtent mal aux prévisions », les français ayant une réputation « solidement établie et bien méritée d’inconstance ».

« Étrange pays, écrit-il, qui semble modéré mais passe d’un extrême à l’autre ».  Et comment ne pas transposer à l’irruption d’Emmanuel Macron sur la scène politique, la situation de l’UNR en 1959: « On constate qu’il y a sur la scène politique des places à prendre, des rôles à remplir. Un parti nouveau ne répondrait-il pas à l’attente d’une France nouvelle »? 

Comment ne pas sourire aussi, à l’évidence d’un constat qui s’est si souvent répété depuis 1958: « Le président sera élu avec une certaine majorité et gouvernera avec une autre »?

Raymond Aron est un spectateur engagé, certes, mais aussi prudent, avec des sentences qui enjambent l’actualité pour s’imposer comme d’incontournables vérités: « Les partis peuvent garder le pouvoir sans projet. Peuvent-ils le reconquérir quand ils n’en ont pas »? Une question à méditer dans bien des états-majors.

Ou encore: « Le monarque élu court toujours plus de dangers qu’il ne le croit. Il ne perçoit les dangers que le jour où le temps lui manque pour les conjurer ».

Observateur attentif des décisions gouvernementales et du jeu des institutions, Aron met en garde les gouvernants dont il sait l’extrême fragilité:

« Les régimes sont davantage menacés par les évènements que par leurs ennemis », rappelle-t’il pour préciser, quelques pages plus loin: « A la longue, un pays ne peut obéir à ceux qu’il méprise ». Des mises-en-garde qui témoignent d’une permanence: notre pays est si difficile à satisfaire, si prompt à s’émouvoir, si versatile dans ses convictions, que ses gouvernants ne sont jamais à l’abri d’une surprise. 

Philippe Langenieux-Villard