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laurence debray 

Historienne, écrivain et réalisatrice de documentaires

 

Le Venezuela ou le règne de la déraison

L’Amérique latine est le continent du « réalisme magique », là où la frontière entre l’imaginaire et la réalité s’estompe. Le rationalisme cartésien n’y a guère de place : trop rationnel, rigoureux, austère, prévisible. La déraison latino-américaine laisse un parfum baroque, inattendu, surprenant, excessif, parfois festif. Là-bas, tout est possible, même les pires atrocités et transgressions. En particulier au Venezuela, l’Eldorado pétrolier. L’or noir y a permis la démesure et l’insouciance. La musique et l’humour sauvaient de tout. Mais depuis quelques années le silence règne. Un silence de peur, d’abattement, de vide. L’Etat a perdu la raison. L’Etat est devenu sadique. Au nom du peuple, l’Etat a tourné le dos à son peuple. Autrefois, une raison d’Etat avait permis en 1958 l’émergence d’une démocratie au détriment d’une dictature militaire, la nationalisation du pétrole en 1976, le développement d’infrastructures et de services sociaux. Mais face au ralentissement économique, l’Etat s’est vu débordé, attaqué, affaibli, puis déstabilisé par deux tentatives de coups d’Etat en 1992. Un bipartisme clientéliste n’était plus à la hauteur des défis. Une démocratie fatiguée, après 40 ans d’exercice sans jamais se renouveler et se remettre en question, a laissé place au populisme incarné par un militaire putschiste folklorique, Hugo Chavez. L’abstentionnisme et les divisions politiciennes ont permis son arrivée au pouvoir. Les vénézuéliens étaient en quête de renouveau. Et la « pensée magique » a fait le reste. Ils ont cru la démocratie ancrée. Ils ne l’ont pas choyé ni protégé. Les intérêts particuliers ont primé sur l’intérêt général. Aujourd’hui, le pays est hors service : plus d’eau, plus d’électricité, plus de médicament, plus de nourriture, plus de liberté…il ne reste que la corruption et la violence. Quand la raison disparaît, la barbarie s’installe. Il n’y a plus de citoyens mais des traitres ou des partisans. Le soi-disant « socialisme du 21ème siècle » a laissé prospérer le règne de mafias locales et étrangères s’adonnant au trafic de drogue ou d’or. Au détriment d’une population laissée pour compte. Une population qui doit survivre par ses propres moyens. Une population dont 20% a pris les routes de l’exil car il n’y a plus d’avenir. Qu’est-ce qu’une nation ? « Un rêve d’avenir partagé » répond Renan. Au Venezuela, plus rien ne fait nation. La déraison a gagné.