Jérôme Fourquet et Jean-Laurent Cassely

La France sous nos yeux - Économie, paysages, nouveaux modes de vie.

Seuil

« La France sous nos yeux » pourrait se présenter comme la suite de « L’Archipel français», précédent ouvrage de Jérôme Fourquet, dans lequel il constatait le bouleversement de la France, devenue une nation multiple et divisée. Son essai avait fait l’unanimité auprès du jury du Prix du Livre Politique 2019, qui l’avait désigné lauréat la même année.

Jérôme Fourquet repart donc pour un tour de France - des France-, accompagné cette fois, par le journaliste Jean-Laurent Cassely (l’Express).

Premier constat : celui d’un pays chamboulé par un nouveau modèle économique. Après deux siècles de règne absolu, l’ère industrielle est abolie. C’est : « La grande Métamorphose ». Une désindustrialisation qui s’opère dès les années 70, s’amplifie dans les années 80, et n’épargne aucun secteur, y compris nos plus beaux fleurons - les plus solides aussi - que sont l’agroalimentaire et l’automobile.

C’est, non seulement un modèle économique qui s’interrompt, mais tout un mode de vie qui se transforme. La désindustrialisation redessine les contours d’une France, où l’époque du plein emploi rimait avec services publiques de qualité. Cinquante ans après, le bilan est lourd, comme l’illustre l’exemple de la ville de Tonnerre dans l’Yonne, où le taux de chômage oscille entre 24 et 26% de sa population.

Rageant. Et lorsque la crise sanitaire survient, nous sommes confrontés à notre propre incapacité à produire blouses, masques, ou encore médicaments. Une grande puissance industrielle annihilée.

Paradoxalement, le tableau de la France actuelle n’est pas si déprimant : les auteurs nous content une société axée sur les loisirs, l’économie de production disparaissant au profit d’une économie du tourisme et de la consommation.

Une usine ferme, un parc de loisir ouvre. L’Otium romain réinventé par le plus célèbre des gaulois, le temps n’est plus studieux, mais aux jeux.

Cependant, tous les français n’aspirent pas à ce genre de « plaisir ». Une véritable fracture territoriale et aussi sociale oppose une France désirable, « triple A », à celle de la « France moche » ainsi qualifiée par Télérama, celle où l’essor des entrepôts Amazon sur les principaux axes de circulations, multiplie les transports autoroutiers.

Deux France s’opposent, aux antipodes l’une de l’autre. La « triple A » qui occupe le peloton de tête des destinations touristiques internationales, où les gens vivent sur la Côte, dans des répliques de « La maison France 5», font leurs courses à la biocoop, et portent des sous-vêtements le Slip français. Face à cette France premium, privilégiée et diplômée, une France Discount, qui a occupé les ronds-points en 2019, s’identifie, elle, par son gilet jaune made in China.

N’en déplaise à de Gaulle, l’américanisation de ce pan de la société est avérée.
Une american way of life face à laquelle les esthètes devront composer avec ces zones périphériques où trône le combo Mcdo-Buffalo. L’Amérique, les couches populaires ne peuvent qu’en rêver, à défaut, ils la consomment, jusqu’à la country et la pôle dance. Un mode de vie honni par les strates supérieures, qui elles privilégient Los Angeles au Far West.

Roland Barthes avait analysé la mythologie du Steak-frite, dans la continuité de l’habitus alimentaire de Bourdieu. Fourquet et Cassely analysent aussi bien l’essor des boulangeries de rond-point (3 baguettes + 1 gratuite), que les néo-boulangers à la farine bio. Quantité versus qualité.

La consommation des ménages change, reflet d’un population en constante mutation. En témoigne la quasi disparition du Saindoux, autrefois largement majoritaire pour cuisiner dans le nord de la France, au profit d’une huile d’olive, symbole de la Méditerranée qui tend même à surpasser le beurre français. Influence de l’émigration, ou préoccupation diététique ?

Symbole de ce syncrétisme culinaire, le french tacos, néo-kebab sorti tout droit des cités, que les auteurs qualifient de « millefeuille culinaire français », une bombe ultra-calorique, qui s’exporte à l’étranger. Nouvel ambassadeur français ?

« La France sous nos yeux », essai plus passionnant qu’un roman de la France contemporaine, cartes et statistiques en plus, expliquée, démontrée. Fourquet et Cassely nous font prendre conscience de ce que Houellebecq avait constaté.

Indispensable, incontournable pour comprendre cette « douce France » archipellisée.