“La colère et l’oubli. Les démocraties face au jihadisme eurpopéen”

Par hugo micheron

Le regard de
philippe langenieux-villard

Secouées par les menaces jihadistes, nos démocraties alternent des temps de colère lorsque les attentats les agressent, puis des périodes d’oubli quand le danger semble s’éloigner. Dès lors, le débat public se désintéresse d’un phénomène dont l’ampleur et les risques ne cessent de s’accroître.

Hugo Micheron, en très fin analyste géopolitique, cherche à comprendre le développement en partie souterrain du jihad, qui se développe avec vivacité dans l’ensemble des capitales européennes selon des processus assez similaires même si sa cause varie d’un pays à l’autre.

En rappelant que l’émergence du phénomène date de l’invasion de l’Afghanistan  par l’URSS et de la guerre qui s’en est suivie (1979-1989), Hugo Micheron entame son enquête par un temps de «marée haute» lorsque le jihad guerrier s’attaque aux « apostats » (régimes musulmans contestés) et aux mécréants (puissances occidentales) dans les années 1990. Il s’ensuivra un temps de marée basse, confirmant le caractère « ondulatoire » du mouvement jihadiste, mais aussi, son enracinement progressif dans tous les pays d’Europe. Le rôle des prédicateurs y est central, car ils organisent un écosystème islamiste militant et parfois radical.

L’auteur détaille les conditions dans lesquelles l’organisation islamiste de développe, ici à la suite d’un accord de livraison d’énergie (Belgique), là en raison des mouvements de contestation interne (Algérie), ou en encore, parce qu’une figure  éminente d’Al-Qaida s’est installée (Londres).

Ce mouvement lent mais sûr, souterrain mais organisé, silencieux mais vindicatif, propage ses arguments et ses ordres à des relais sans cesse plus impatients d’agir. Le 8 septembre 1996, cinq mille participants venant du monde entier envisagent de se réunir à Londres. La manifestation est finalement interdite. Les attentats du 11 septembre, mettent un terme provisoire à la passivité des responsables publics à l’égard des mouvements islamistes. « La guerre contre la terreur » est engagée par les Etats-Unis. Mais le salafisme se diffuse de plus en plus dans l’espace européen et de nouveaux acteurs s’engagent en Allemagne et en France, organisant les bases du terrorisme européen. L’Espagne est touchée.

A l’évidence, la mouvance islamiste s’est renforcée à la fois par les mauvaises conditions d’intégration dans certains quartiers de villes européennes, mais aussi dans les prisons et dans les instituts salafistes. Désormais, les sympathisants ont pris confiance en eux et en leur nombre. De même, la destruction de l’entité territoriale de Daech n’a en rien résolu la question du jihad en Europe.

La force de cet ouvrage tient notamment à l’ensemble des entretiens que l’auteur a conduits avec différents protagonistes, mais aussi, à sa manière très concrète, très humaine et très vivante, de mettre en exergue les intentions et les controverses des différents acteurs. L’approche chronologique, qui déplace les lieux de tension au gré des conflits locaux, des déclarations ou des publications, offre une très grande pédagogie à un phénomène dont la complexité est ainsi « désossée » et clairement expliquée.

Comment sortir de la spirale infernale qui semble s’emparer des sociétés occidentales aux prises avec le radicalisme? L’auteur lance quelques pistes utiles en conclusion, constatant par ailleurs que les démocraties ont dans l’ensemble très bien résisté aux assauts passés. Mais le risque demeure, surtout lorsqu’on le sous-évalue. N’est-ce pas, sur un autre front, celui de l’Ukraine, ce que l’actualité nous démontre ?