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Le jihadisme français : quartiers, Syrie, prisons

Gallimard

 

« L’esprit est toujours en retard sur le monde », c’est par cette citation d’Albert Camus que le spécialiste de la radicalisation islamique Hugo Micheron, conclut un travail d’envergure, qui a nécessité cinq années de recherches. Ce travail qui a abouti à la rédaction de l’ouvrage « Le Djihadisme Français- Quartiers, Syrie, Prisons », parvient à retracer, et expliquer le djihadisme sur le territoire français. En effet, la France a été la principale victime en Occident de ce phénomène, avec une multiplicité d’attentats sur son territoire de 2012 à 2017. Pour mener à bien ses conclusions, Hugo Micheron, est dans cette étude, à la fois historien et sociologue. 

Historien, car il retrace la naissance du djihadisme en France, à travers ses multiples acteurs. Ainsi, on retrouve conjointement des anciens du Groupe Islamique Armée (GIA) algérien, des revenants du djihad afghan, ou encore les frères Clain. Ces deux convertis toulousains, militants du djihad qui sont autant convaincus que convaincants, des adeptes, qui portent la parole d’une idéologie aussi rétrograde que dangereuse, et qui façonneront des êtres à leur image. Parmi eux, Mohamed Merah, qui illustre le pendant antisémite revendiqué du salafisme. Il est l’auteur de l’attentat de l’école juive de Toulouse, cet acte barbare, marque un tournant dans le fait djihadiste français comme le relève Hugo Micheron. L’auteur souligne que cet attentat aurait dû alerter davantage les services de sûreté de l’Etat, qui n’ont à l’époque, pas réalisé les enjeux d’une telle attaque.

Sociologue, son approche scientifique lui a permis de réaliser une cartographie inédite du phénomène djihadiste en France, des frères Clain à l’attentat de Merah, il démontre qu’idéologie et géographie sont étroitement liées. Il apparait donc des lieux stratégiques, comme Artigat en Ariège, où ces endoctrinés, menés par l’Emir blanc Olivier Corel, ont pu faire prospérer leurs idées au sein même du territoire français.

Le chercheur s’attache à battre en brèche les idées reçues sur le djihad, au profit de vérités scientifiques. La ville de Trappes, par exemple, a été l’une des plus généreuse en « soldats d’Allah », pourtant, on ne peut imputer ce fait à la seule pauvreté de ses habitants, puisque la ville de Chanteloup-les-Vignes, qui accumule les mêmes handicapes socio-économiques peut quant à elle se targuer d’aucun départ de ses habitants vers le Levant.

C’est au Shâm, terre de « djihad »  que l’on retrouve certains des « enfants de la République », littéralement. Des famille entières se côtoient à 4000 km de la France. Strasbourgeois, toulousains, ils sont le reflet de l’échec de la République laïque. Ils abhorrent le pays des libertés, qu’ils qualifient également de pays de « kouffars » (mécréants), tandis qu’en Syrie, ils y voient l’espoir d’une vie pieuse, promise par des prédicateurs radicalisés. Ces derniers, qui ont pu prêcher librement depuis la France, vantaient ardemment, les mérites d’une exile au Levant.  

Une fois les passions déchaînées, il y a un retour vers la mère patrie. Qu’il soit voulu ou non, il s’accompagne d’un passage par la case prison. Là, s’illustre le caractère inédit de cet ouvrage puisque Hugo Micheron a réalisé des entretiens auprès de djihadistes emprisonnés. Sur les 2000 français impliqués dans les rangs de Daesh, l’auteur a pu s’entretenir avec 80 de ces soldats de l’Etat islamique. 

Parmi eux, certains ont été rapidement désenchantés. Mais les repentis sont minoritaires face aux doctrinaires. L’incarcération n’est alors pas vécue comme une punition, mais au contraire, les anciens émissaires d’Al Baghdadi en profitent pour vivre pleinement l’otium latin, et ces idéologues de la mouvance, oeuvrent depuis leurs cellules pour reconfigurer le djihadisme de demain. Stratèges, ils analysent les failles qui ont périclité l’Etat Islamique. Les prisons apparaissent comme « l’ENA » du djihad avec des soldats qui troquent leurs mitraillettes contre un cursus de psychologie, ou encore d’histoire. Le savoir est une arme, et leurs peines des munitions. 

Le chercheur nous alarme sur l’après Daesh, et cet ouvrage, a toutes les chances de devenir une référence en la matière. 

Emma Brillanceau