Frédéric Encel

Les voies de la puissance

Odile Jacob

La puissance est une notion positive. Elle est nécessaire, légitime, consubstantielle à la vie en société qui s’organise autour de rapports de forces. « Elle n’est mauvaise qu’employée à mauvais escient ». Mais renoncer par principe à la puissance est un non-sens.  Voilà le postulat de Frédéric Encel.

Disons-le d’emblée, l’ouvrage est passionnant et très complet. Il aborde le thème de la puissance sous tous ses aspects (militaires, économiques, géographiques, démographiques, psychologiques, historiques…) et prend bien sûr une tonalité particulière dans le contexte de la guerre engagée ces derniers jours contre l’Ukraine. En outre, l’ouvrage ayant été conçu avant cet évènement, le lecteur peut aisément vérifier les projections et hypothèses émises par l’auteur et, en quelque sorte, juger de la pertinence de ses analyses.

Plusieurs pages consacrées à une analyse géopolitique de la Russie éclairent d’ailleurs l’actualité. « La Russie est une grande puissance pauvre mais riche de son révisionnisme revanchard », explique l’auteur qui souligne combien elle se juge « victime » de l’occident, à l’instar de Vladimir Poutine déclarant le 26 avril 2015: « La chute de l’URSS fut la plus grande catastrophe géopolitique du XXème siècle ». Frédéric Encel conclut ce chapitre avec cette question prémonitoire: « Ne faut-il pas repenser profondément la relation avec la Russie à travers une redéfinition de la vocation originelle de l’Otan ? »

Un chapitre est également consacré à quelques cas possibles d’objectifs stratégiques dans le monde depuis l’Égypte vers la Cyrénaïque, en passant par l’Algérie dans le Maghreb, le Qatar et ses ambiguïtés, la Turquie et ses arrières pensées ou encore l’Inde et ses relations de voisinage.

Mais l’ouvrage contient essentiellement une analyse fouillée des contours de la puissance, de ses limites, de ses dangers. Le texte est fort et offre une multitude de préceptes, un panorama à la façon de Clausewitz ou un bréviaire à la manière de Machiavel, utile aux gouvernants ou à ceux qui les conseillent.

Ainsi l’auteur rappelle-t-il que « sans paix à l’intérieur, il n’y a pas de puissance à l’extérieur » et « que la puissance d’un État est plus gravement menacée par le mécontentement de ses concitoyens que par les armées étrangères », ou encore, que si « la crainte est fédératrice et mobilisatrice, la haine déchainée par un régime se retourne très souvent contre lui ».

Constatant que « l’insularité est un atout de puissance », Frédéric Encel juge que la Russie, précisément, est insulaire malgré ses nombreux voisins par son immensité et l’âpreté de son climat.

Il faut lire ce livre, réellement instructif et accessible et dont l’une des phrases de conclusion mérite à elle seule un hommage du lecteur: « Heureux les citoyens ayant à la tête de leurs institutions des personnels tempérés, bien formés et soucieux du bien public ».

Philippe Langenieux-Villard