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François sureau

Sans la liberté

Gallimard

« Chaque année depuis un peu plus vingt ans, les plaques tectoniques de notre société politique se déplacent dans une mesure telle que j’ai fini, comme bien d’autres, par me demander si l’amour de la liberté, ou celui de l’État de droit qui vise à le garantir, n’était pas un simple vernis, une référence morte, un propos de fin de banquet »
 
C’est le constat que nous livre François Sureau, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, exerçant aujourd’hui au sein du cabinet Spinosi et Sureau, dans Sans la liberté (collection « Tracts » de Gallimard, septembre 2019). Cet amoureux de la liberté dresse un état des lieux de son exercice en France. En cinquante pages, il interroge l’amour pour la liberté et l’État de droit qui vise à le garantir. L’extase sécuritaire a-t-elle remplacé l’amour pour la liberté ? La liberté individuelle s’est-elle substituée à la liberté pour tous ? Tels sont les glissements progressifs décrits par François Sureau dans un manifeste d’une densité et d’une générosité rares, au ton très personnel, dans lequel transparaît à chaque ligne l’inquiétude de voir les enfants de la modernité délaisser l’esprit de la liberté.
 
« La liberté n’a jamais cessé de me surprendre ; pour ses promesses quand j’étais jeune et, plus tard, pour la facilité avec laquelle nous étions portés à oublier ses exigences, ou, pire encore, à en dédaigner la valeur. Cette expérience restera celle de ma génération. »
 
Sa génération a connu ce temps, écrit-il, où les grands principes semblaient encore établis dans l’esprit des serviteurs de l’État. Principes qui étaient respectés car cela correspondait à l’esprit de l’époque. Et c’est avec la transformation de celle-ci que la liberté a commencé à disparaître dans une indifférence presque totale. « Un jour viendra peut-être où nous pourrons recommander sans nous trahir de remplacer le blanc au milieu du drapeau tricolore par un beau gris préfectoral », ajoute-t-il d’un ton sarcastique. 
 
La liberté a été affaiblie par « cette manie fâcheuse de légiférer à chaque incident, qui ne date pas d’hier et qui parait avoir installé l’hémicycle au milieu du café du commerce ». La loi est devenue une arme soumise à l’émotion, répondant de manière presque instantanée à des évènements exceptionnels. Les faits sont connus pour qui veut bien les voir : restriction des libertés liée à l’état d’urgence, présence dans nos rues de forces de l’ordre dotées d’armes de guerre, loi anticasseurs conduisant à considérer le citoyen libre comme un délinquant en puissance, loi anti-fake news sanctionnant les contenus a priori, loi contre les « discours haineux » encourageant les opérateurs privés à la censure. Autant de mesures témoignant d’un climat général, celui « d’un pays où les libertés ne sont plus un droit mais une concession du pouvoir, une faculté susceptible d’être réduite, restreinte, contrôlée autant dans sa nature que dans son étendue ».
 
Brillant par son écriture, sa culture et son humanisme, ce bon connaisseur des arcanes du pouvoir et des mœurs politiques lance un appel à reconsidérer la liberté, non pas seulement comme valeur mais comme état d’esprit, non pas seulement pour le gouvernement mais aussi pour le citoyen qui doit garder en toutes circonstances sa souveraineté intellectuelle et morale. Il doit payer le prix de la liberté pour rester fidèle à « cette idée que la contradiction, fille ainée de l’inquiétude ontologique, est le plus sûr aiguillon pour bâtir, siècle après siècle, une société meilleure».  

Clara Mothes