Éric Vuillard

Une sortie honorable

Actes Sud

L’ancien prix Goncourt pour « L’ordre du jour » où il était question de l’invasion de l’Autriche par Hitler, n’a rien perdu de sa plume acérée pour dresser ici le réquisitoire de tous ceux qui, de près ou de loin, ont contribué au drame de la bataille de Diên-Biên-Phu entre mars et mai 1954.

L’auteur nous emmène sur les bancs de l’Assemblée Nationale, dans les travées parfois vides de ce lieu « où les discours se replient les uns sur les autres comme les sentiers d’un labyrinthe ». Le sujet indochinois est posé. Les parlementaires se succèdent sous l’oeil fatigué du président Edouard Herriot. Edouard Frédéric-Dupont, le député Violette et quelques autres orateurs expriment leurs convictions coloniales. Pierre Mendes-France rompt l’unanime orgueil national en suggérant que l’on sorte du conflit par la négociation. Mais personne n’entend la subtilité de son intervention.

Pourquoi cette guerre? Eric Vuillard a son idée: ce n’est pas celle de l’honneur ou du patriotisme. Ce n’est pas seulement un conflit colonial et anti communiste: c’est d’abord celui de la maîtrise des sous-sols indochinois qui regorgent de métaux et de matières précieuses. C’est la guerre du capitalisme cynique et des intérêts privés. C’est pour accroitre des profits que meurent des soldats mal commandés. C’est « l’affaire Dreyfus des nigauds, le Panama des crétins », écrit Vuillard qui suit pas à pas le général Navarre, un militaire sûr de lui dont la carrière va s’achever là sur un échec.

La force de ces lignes sans aucune concession, de ces pages d’une enquête serrée sur un épisode tragique de notre histoire, tient à la description ciselée des caractères et des attitudes de chacun des protagonistes de cette affaire. Il ne faut attendre aucune compassion d’un texte qui s’ouvre sur une « épidémie de suicides » dans une plantation Michelin et se referme sur l’invraisemblable augmentation de dividendes pour les actionnaires de la Banque d’Indochine au lendemain de l’effroyable revers militaire.

Voici donc une nouvelle page d’histoire, revisitée par l’auteur de « La tristesse de la terre » et de « La guerre des pauvres », romans qui dénoncent eux aussi la violence sociale, l’exploitation des hommes et l’alliance dominatrice des puissants.

Philippe Langenieux-Villard