Après « L’adversaire » où Emmanuel Carrère relatait avec une infinie finesse le drame de la famille Romand, voici « L’ennemi »: « V13 », l’enquête absolument remarquable du procès des attentats terroristes du 13 novembre à Paris. L’auteur nous emmène dans les travées du palais de justice qu’il a assidûment occupées pendant l’année consacrée à la compréhension et au jugement des 14 seconds couteaux de ces attentats. « Ce n’est donc pas le procès de Nuremberg », précise Carrère puisqu’ici, « ceux qui ont tué sont morts ». Il est venu au Palais de justice pour « écrire et lire le livre collectif, depuis le début jusqu’à son terme », de la folle équipée assassine. Rien n’échappe à son observation. Ni les témoignages effroyables des rescapés, ni l’attitude erratique des prévenus, ni la stratégie subtile de leurs 350 défenseurs, ni la solidité des représentants du ministère public, ni l’émotion du public, ni la lenteur de la procédure, ni son nécessaire déroulement.

Il est un journaliste parmi d’autres, certes, mais avec ce talent du romancier qui parvient à susciter chez le lecteur une multitude de sentiments différents, qui pointe les fragilités, les doutes, les espoirs des différents protagonistes de ce procès hors-norme dont le dossier pèse plus de 200 tonnes de papier. Aucune question n’est éludée, aucun acte, aucune intention ne sont cachés.

Le prix de la mort, celui des larmes, leur valeur, font l’objet d’un passionnant travail d’enquête à l’issue de laquelle, franchement, personne n’aurait envie d’être juge tant la matière est sensible.

Puis, « la souffrance ayant été déposée, il reste à rendre justice ». Et là encore, Emmanuel Carrère nous saisit de stupéfaction, avec les surprises du délibéré, les incidents qui l’accompagnent, les émotions que le jugement final suscite, les questions qu’il pose.

Un livre à lire absolument, où l’ennui qu’a dû parfois ressentir l’auteur présent dans la salle d’audience se transforme par l’alchimie des mots et de sa sensibilité en la passionnante lecture d’un évènement-clé de notre histoire nationale.

Philippe Langenieux-Villard