“Des lieux qui disent”

edouard philippe

Le regard de
philippe langenieux-villard.

Il ne s’agit ni d’un livre de mémoires où l’auteur se contenterait d’écrire du bien de lui et du mal des autres, ni d’un livre-programme, avec son cortège de promesses. L’ancien Premier Ministre préfère nous emmener dans ses souvenirs et limiter ses espérances à plusieurs propositions. L’exercice est à la fois personnel et très codifié autour de six verbes fondamentaux (apprendre, aménager, soigner, juger, espérer et faire) rattachés à des lieux symboliques qui ont compté dans l’enfance, l’adolescence ou la vie adulte d’un fin lettré qui multiplie les références littéraires comme autant de compagnes de vie.

Aucun lecteur ne sera dupe des intentions futures et au demeurant parfaitement légitimes d’un homme qui n’hésite pas à raconter ses combats les plus intimes, par exemple face à la justice ou encore face à une maladie qui a transformé son apparence mais qui n’est «ni grave, ni douloureuse, ni contagieuse…ni réversible». Ainsi, les choses sont-elles dites et les suspicions levées.

A l’évidence, l’école constitue ici sa préoccupation première, à la fois parce que le sujet est « d’ordinaire mal traité » et parce que le système éducatif « ne fait plus envie ». Edouard Philippe égraine des pistes de travail, soulignant l’importance des petites classes (élémentaire et maternelle), la nécessité de donner aux établissements scolaires leur autonomie « sans remettre en cause le caractère national de l’éducation » et la formation des enseignants. Ce sont les trois clefs, écrit-il qui mettront un terme à l’actuel nivellement par le bas des élèves.

Le maire du Havre plaide aussi pour une bonne compréhension de la mondialisation, (« un phénomène d’abord maritime », constate-t-il), fustigeant le mépris de la loi des zadistes et appelant à engager les grandes infrastructures grâce auxquelles un pays est attractif et puissant.

L’hôpital, et plus largement la santé, est l’occasion d’un rappel de quelques vérités: en 1750, l’espérance de vie était de 25 ans. Entre 1980 et 2023, le nombre de médecins français a progressé de 120%. Des chiffres que l’on oublie ou que l’on ne croit pas. « La Vème république a fait pour la santé ce que la III ème république avait fait pour l’école et la justice », constate-t-il. Alors, pourquoi donc un malaise? Une part tient, selon Edouard Philippe à la géographie et aux déséquilibres territoriaux. Il suggère de lancer des expérimentations, de soutenir des initiatives médicales astucieuses et efficaces.

Les pages consacrées à la justice, à son enfermement et à son corporatisme, à sa lenteur et à ses faiblesses, appellent à un droit pénal sévère et appliqué mais aussi à une situation pénitentiaire « dont il faut casser la promiscuité et l’indignité ». L’ancien conseiller d’état croit nécessaire de revoir les règles de fonctionnement d’une institution qui « prétend s’autocontrôler et s’autoréguler » mais dont on comprend de moins en moins bien les règles et l’efficacité.

Le drame de Notre-Dame de Paris, l’histoire de la laïcité, le développement de l’islam, notre relation de plus en plus prudente à l’égard du sacré, permettent à l’auteur de développer avec beaucoup de pertinence à la fois ses craintes et ses espoirs, face à « cette morne plaine d’indifférence » qui permet « aux prophètes de malheur d’avancer toute vitesse ».

Ce livre sincère et pédagogique est utile à l’analyse d’une actualité qui trouble les consciences et efface les repères, néglige les évidences et abime les liens tissés par des racines toujours vivantes.