Prix du Livre de Géopolitique 2021

éditorial

 
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« Confinement et contagion »

Cette année, parmi les ouvrages soumis au jury du Prix du Livre de Géopolitique, nombreux étaient ceux qui s’intéressaient à la guerre, notamment La guerre de vingt ans que les benjamins de la sélection, Elie Tenenbaum et Marc Hecker consacrent au djihadisme et au contreterrorisme,  Les guerres invisibles de Thomas Gomart, notre lauréat l’an dernier ou encore le livre de Gérard Chaliand Des guerillas au reflux de l’Occident qui vient couronner une œuvre remarquable principalement dédiée à l’étude des conflits militaires. Il est normal, dans une époque de plus en plus troublée, que l’on s’interroge sur les réalités contemporaines de la guerre. Le XXIème siècle est en effet déjà marqué par plusieurs cycles de conflits. Les interventions humanitaires et de maintien de la paix post-Guerre froide ont cédé la place à des engagements sécuritaires, notamment dans la lutte contre le terrorisme islamiste. Dans les opérations multinationales, on voit la logique de puissance revenir en force. Et puis la guerre se transforme une fois de plus sous nos yeux. L’électronique et l’intelligence artificielle changent la donne. Certes, ces technologies n’évincent pas les armes classiques du champ de bataille mais elles les dirigent de plus en plus. Elles permettent, grâce à l’automation, de les affranchir des contraintes de milieux.

La guerre se déploie ainsi dans de multiples dimensions physiques et immatérielles, ce qui ne signifie pas pour autant qu’elle n’est pas contenue. Les gestionnaires de la violence que sont les États, grâce en partie d’ailleurs à la technologie, s’efforcent d’éviter l’escalade et de maintenir les conflits armés dans des zones circonscrites. Il s’agit, dans les engagements militaires, de ne pas se laisser entraîner dans l’excès des combats, d’éviter les dégâts collatéraux, de circonscrire l’intervention de façon la plus « chirurgicale » possible. La technologie, au XXIe siècle, apporte précision, furtivité, immédiateté et permanence aux actions militaires. Elle n’élimine pas se faisant le heurt des combats, notamment au sol. La guerre à distance rencontre, en effet, d’autant plus vite des limites opérationnelles que son objectif, dans beaucoup de conflits contemporains, est de ramener l’ordre et la concorde civile. Les armées, ou par procuration leurs supplétifs, sont alors forcément obligées d’aller au contact. Sur le plan stratégique, le confinement vise à contenir le conflit mais c’est aussi tactiquement une façon de faire la guerre en espérant venir à bout d’un adversaire cloué au sol par des frappes ou, de guerre lasse, en l’enfermant dans une nasse. Ce qui est efficace face à un ennemi en situation d’infériorité peut cependant être pris à contrepied, en particulier par un adversaire irrégulier. Les mouvements de libération nationale hier, ou, les groupements terroristes aujourd’hui appliquent les mêmes stratagèmes en opposant à la logique du confinement celle de la contagion.

Confinement et contagion, on dirait que la pandémie de la COVID (qui a plus de conséquences pour le monde que tous les conflits militaires depuis la seconde guerre mondiale) dicte ici ses mots. Depuis 1945, la guerre est cependant bien enfermée dans un tel balancement dialectique. Dans le même temps, de 1945 à nos jours, le monde n’a connu aucun très grand conflit majeur. Le nombre de guerres, avec des contrecycles a plutôt eu tendance à se stabiliser sur longue période. En dépit de multiples conflits, une paix mondiale, certes bâtarde, perdure. La limitation des conflits, au double plan stratégique et tactique, a évité des emballements préjudiciables à tous. Tant que les intérêts stratégiques des grandes puissances militaires ne sont pas réellement mis en jeu, on peut espérer que cette paix bâtarde continuera de prévaloir. Les conflits, en particulier dans la phase d’instabilité actuelle des relations internationales, constituent cependant des irritants dont il serait illusoire de penser qu’ils sont sans danger. La paix mondiale était précaire sous la guerre froide. Elle s’était consolidée dans les dernières décennies du XXème siècle. Elle s’est détériorée au cours des années 2010.

Elle est encore plus fragile depuis quelques années.

Louis Gautier,
Président de la 3ème chambre de la Cour des Comptes,
Directeur de la Chaire « Grands enjeux stratégiques contemporains » à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne,
Essayiste