Prix du Livre de Géopolitique 2021

éditorial

 
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« La Création, reflet d’un monde en crise »

La géopolitique n’inspire pas seulement la littérature académique ou « sérieuse ». Nous vivons une période où les équilibres mondiaux sont sujets à la fois à des secousses soudaines, telle en son temps l’attaque du 11 septembre 2001, et à des mouvements de longue durée, qui laissent présager une redistribution de la puissance à l’échelle mondiale, telle une tectonique des plaques dont l’évolution lente est susceptible, elle aussi, de provoquer des failles et des séismes, à l’instar de la compétition entre la Chine et les Etats-Unis. Il n’est donc pas surprenant qu’un tel contexte, par essence anxiogène, influe également sur la création artistique.

Ce phénomène a été notamment fort bien identifié par Dominique Moïsi dans son essai sur la géopolitique des séries. Comme l’a écrit un psychanalyste, Gérard Wajcman, la série audiovisuelle, une forme culturelle virtuellement indéfinie, est devenue le meilleur reflet de notre monde, qui est désormais celui de la crise en série, avec ses rebondissements incessants. Ce n’est pas un hasard si un pays comme Israël, situé comme il l’est au cœur des enjeux stratégiques les plus lourds, ait suscité des scénaristes parmi les plus remarquables au monde, dont les productions, telle Hatufim, ont été parfois reprises et adaptées par de grands diffuseurs américains pour leur donner une audience planétaire.

Parce que de telles œuvres agissent sur l’imaginaire de plusieurs millions d’individus, elles contribuent à façonner non seulement une vision du monde, en offrant des clefs d’interprétation, mais aussi les comportements, et donc la politique. Même si cette année, le jury du Prix du Livre de Géopolitique n’a pas eu à distinguer de roman, il est important de rester aux aguets de tout ce que, à l’instar du cinéma ou de la série, la littérature de fiction peut apporter par la profondeur de ses intuitions, souvent visionnaire, et sa capacité à toucher des lecteurs bien au-delà du cercle des « spécialistes ».

Bruno Racine,
Directeur du Palazzo Grassi,
ancien Président du Centre Pompidou et de la Bibliothèque Nationale de France