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  Dominique reynié

Professeur des universités à Sciences Po,
Directeur général de la Fondation pour l’innovation politique

La corruption de l’ordre démocratique

Aujourd’hui, dans nos sociétés démocratiques, un seul sujet, l’islam, expose à des menaces nombreuses, précises et répétées, des menaces de viol, de mort, des menaces qu’il faut prendre au sérieux comme nous y obligent plus de 50 attentats islamistes qui ont frappé notre pays, en moins de quinze ans, faisant plus de 300 victimes, adultes et enfants. User de la liberté d’expression pour critiquer, moquer, caricaturer, insulter même, une cause, une idéologie, un dogme, est en train de ne plus devenir possible, s’il s’agit de l’islam. Notre laïcité, revendiquée, notre esprit anticlérical, fièrement paillard, soudain se rapetissent et semblent s’éteindre lorsqu’il s’agit de l’islam, devant les intimidations, les menaces et les ultimatums, brandis par une minorité intolérante et condamnable.

La violence des uns grossit de la lâcheté des autres. L’absence d’unanimité dans l’expression de notre solidarité avec Mila est l’autre versant de ce cas. Ce devait être immédiat, spontané, puissant. Cela n’a pas eu lieu. La vigueur du combat pour la liberté d’expression, de la lutte contre les violences faites aux femmes, contre le sexisme, contre l’homophobie, promettaient un immense appel à soutenir Mila. Las, des esprits ont hésité, chancelé, se sont détournés, divisés quand il faire front pour faire face. On le voit aux propos embarrassés d’une représentante de l’association « Osez le féminisme !» : « [le cas Mila] est un sujet sur lequel on a choisi de ne pas se prononcer […] ce sont des questions extrêmement complexes et délicates »[1]. De même, Caroline De Haas, célèbre activiste du collectif féministe #NousToutes, qui adopte une posture bizarre, en choisissant de dénoncer « la tendance de l’extrême droite à ne se saisir du dossier des violences faites aux femmes que ‘’lorsque ça sert son agenda raciste. […]. Sur les féminicides, les agressions dans le patinage artistique, on n’entend pas les fachos’’»[2].

Dans la même veine, des élus, une ancienne candidate à la présidence de la République, des journalistes, des universitaires, feignent de ne pas comprendre ; ils préfèrent éluder ou mégotent leur soutien à Mila, au risque d’encourager la haine furieuse levée contre elle. Une partie de nos élites, peut-être aussi dans l’appareil d’État, semble prête à céder quelque chose, tandis qu’en cette matière « le commencement est la moitié du tout » (Aristote).

Ceux qui menacent Mila et ceux qui ne la défendent pas œuvrent ensemble à la corruption de l’ordre démocratique. Par la peur et la violence, ils préparent au retour de fait du blasphème, cette pièce maîtresse d’une culture théologico-politique dont on sait bien qu’elle est strictement incompatible avec la liberté.

[1] Citée par Eugénie Bastié : « L’étrange silence d’une partie des féministes sur l’affaire Mila », Le Figaro, 3 février 2020.

[2] Citée par Sylvain Mouillard : « Affaire Mila : les associations condamnent, sans être entendues », Libération du 7 février 2020.