Les Partisans

 dominique bona

Gallimard

Le lion et le taureau, L’oncle et le neveu, le grand reporter et le grand bourgeois, mais aussi deux résistants du premier jour, deux hommes fous des femmes et de la vie, deux destins issus d’une enfance troublée, deux ambitions débordantes, deux académiciens qui traversent le vingtième siècle avec les imprudences, les fulgurances et tout compte fait, une gloire justifiée par le talent.

Dominique Bona fouille les archives, interroge les témoins, sollicite sa mémoire académicienne, pour offrir dans ces pages le portrait croisé de Joseph Kessel et Maurice Druon.

Sa méthode est efficace, ouvrant chaque chapitre sur des scènes qui négligent la chronologie tout en la respectant, faisant vivre l’entourage des deux écrivains en mêlant aux anecdotes une subtile analyse de leur psychologie. Kessel, affirmant que sa nationalité est d’être « français libre », et Druon, tenté par l’héraldique des Cosse-Brissac « de sable à trois faces d’or denchées en pieds ».

Depuis le sentier emprunté par les deux fugitifs d’une France déchue en 1940 jusqu’à leurs derniers jours tristes, Dominique Bona dévoile quelques secrets de famille tout en décrivant avec finesse une époque où le risque de mourir se combat dans l’euphorie des amitiés, des amours et de la boisson. Certes, la vie intime et quotidienne des deux hommes ressemble à celle de tout le monde avec ses blessures, ses combats et ses échecs. Et Dominique Bona, en biographe talentueuse, s’immisce au cœur des difficultés que doivent surmonter les deux couples, mais aussi comment deux artistes sont parvenus à affronter le temps qui passe, une société qui bouge et des repères qui évoluent.

Parvenus au faîte de la notoriété, siégeant tous deux à l’Académie Française où leur investissement dans l’institution est excessivement différent, chacun trace sa ligne selon son tempérament. Mais l’oncle et le neveu n’oublient rien de leurs complicités de jeunesse, des heures londoniennes où ils inventèrent la Marseillaise des résistants, « Le chant des partisans », sous les yeux de Germaine Sablon dont la vie héroïque méritait de belles pages. La chanteuse, frère de l’immense Jean Sablon, ne fut en effet pas seulement la compagne de Joseph Kessel, mais une grande résistante et une infirmière efficace sur les fronts italiens et français jusqu’à la Libération.

Il fallait enfin comprendre comment « Le Lion », « L’armée des ombres », « Les grandes familles » ou encore « Les rois maudits » et quelques autres titres de toutes les bibliothèques avaient été conçus et rappeler l’immense engouement que ces livres exceptionnels avaient suscité.

Cet ouvrage passionnant et émouvant offre d’un seul tenant les portraits de deux immenses personnalités qui auraient pu chacune justifier sa propre biographie. Mais c’eût été alors amputer chacun d’eux de cette part indéfinissable et en même temps indissoluble d’une parenté aussi bancale que féconde. L’Académicienne a-t’elle une préférence, entre Kessel, titulaire du visa N°1 pour Israël et Druon le défenseur sans relâche de la langue française ? Sans doute est-elle emportée par l’enthousiasme de vie et d’aventure de Kessel, surnommé « Tolstoievski » par Maurice Druon. Mais elle admire l’auteur des « Rois Maudits » et aime à surprendre ses foucades de ministre puis de secrétaire perpétuel de l’Académie Française. « Il ne faudrait jamais entreprendre de raconter un voyage, on est vaincu d’avance » expliquait Kessel. Mais raconter deux vies si palpitantes, si flamboyantes, si françaises enfin, c’est, à l’évidence et dès les premières lignes, un travail promis au succès.

Philippe Langenieux-Villard