Béatrice Giblin, Géographe, directrice d’Hérodote et fondatrice de l’Institut Français de Géopolitique

 

“Le bien-fondé d’un Prix du Livre de Géopolitique se justifie encore plus cette année”

 La guerre en Europe. Qui avait imaginé voir Kiev bombardée, les Ukrainiens sur les routes fuyant l’avancée des troupes russes, des civils n’ayant jamais tenu une arme affronter avec des fusils mitrailleurs et des cocktails Molotov des chars russes ? Pourtant l’impensable s’est produit, ce qui explique la sidération des Occidentaux, y compris des Ukrainiens, même si la concentration massive de troupes russes depuis plusieurs mois à leurs frontières aurait dû laisser peu de doutes sur les intentions du Président russe. Cependant, en Europe les chefs d’Etat et les diplomates comme les experts de la Russie, pensaient que la raison l’emporterait et que la guerre entre la Russie et l’Ukraine serait évitée en échange d’une remise à plat des conditions de sécurité et de stabilité stratégique en Europe. C’était sans compter sur la force de la représentation russe, du moins celle de Poutine, selon laquelle l’Ukraine n’est pas une nation autonome mais seulement un sous-ensemble de la grande nation russe, ses frontières plus administratives que politiques ayant été délimitées par le pouvoir bolchévique. Poutine lui dénie donc toute légitimité à vouloir exercer sa souveraineté sur un territoire qu’il ne considère pas comme ukrainien et ce d’autant plus que l’Ukraine clame sa volonté de rejoindre l’Otan, d’intégrer l’UE et de rallier le camp des démocraties occidentales, trois objectifs inacceptables du point de vue russe.

Ce conflit russo-ukrainien est l’exemple même d’un conflit géopolitique selon la définition d’Yves Lacoste : analyse des rivalités de pouvoirs sur des territoires pour prendre ou garder le contrôle des populations et des ressources qui s’y trouvent, territoires qui font l’objet de représentations historiques contradictoires.

Ce conflit remet l’Europe au centre des tensions géopolitiques internationales. Les Etats -Unis, centrés depuis quelques années sur leur rivalité avec la Chine, sont contraints de se préoccuper de nouveau de l’Europe. Quant aux responsables politiques de l’UE, ils doivent admettre que bien qu’unis face à Poutine, leurs efforts pour éviter la guerre ont été vains. Assuré de la non intervention militaire de l’Occident, le président russe après l’annexion de la Crimée, a décidé de prendre le contrôle de l’Ukraine par la force militaire, violant ainsi toutes les règles du droit international. Face à la deuxième armée du monde, qui plus est dotée d’un arsenal nucléaire, les démocraties occidentales ne peuvent prendre le risque d’une riposte militaire qui embraserait tout le continent européen. Il leur reste les sanctions financières suffiront-elles à faire entendre raison à Vladimir Poutine et si ce n’est à lui, au moins à ses oligarques qui pourraient alors l’abandonner à ses rêves de reconquête des territoires de l’empire russe ?

En ce mois de mars 2022 se joue sur le territoire européen l’avenir des démocraties libérales qui l’emporteront sur le long terme mais au prix élevé de combien de victimes ukrainiennes ?