Didier Leschi

Préfet, directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration


Jeunesse de la République

La Cinquième République a 60 ans. Elle n’est plus la même qu’à ses débuts, mais pas tout à fait une autre. Elle est née dans la tourmente des crises coloniales qui paralysait le pays. Elle a su y faire face et construire suffisamment de légitimité pour surpasser l’émotion de 1968 et traverser les alternances. Elle est née dans l’ancien monde où le mur de Berlin était pour certains la matérialisation d’un totalitarisme dont rien n’arrêterait l’expansion, et pour d’autres un paradis en devenir. Elle a vu venir à elle des exilés fuyant les tortures de généraux parlant l’espagnol, le grec ou le portugais ; et même, malgré tout, su éviter le pire à ceux de ses fils perdus dans la révolution.

Malgré son âge avancé, il lui faut s’adapter à un monde nouveau où les repères, les modes de penser, les femmes et les hommes qui avait été là lors de sa naissance ont profondément déclinés. Et où les défis sont à surmonter avec des outils qu’il faut inventer.

Il en va ainsi de l’accueil de l’étranger, exilé ou non. Dans le monde ancien, le monde du travail était l’allié turbulent de la République dans cette tache aussi vieille que la démocratie qui est de faire une place à celui qui n’est pas de la Cité, mais qui vient y chercher l’hospitalité. Aujourd’hui ce monde n’est plus, ou plus suffisamment vaillant. Non seulement ses lieux se sont fermés, mais en plus il cherche la pensée qui lui redonnera de l’élan. Il faut donc que la République arrive à trouver de nouvelles méthodes qui la rajeunissent pour pouvoir accomplir son devoir d’hospitalité et intégrer au mieux ceux qui l’ont choisi et qu’elle a accepté. Il ne s’agit pas uniquement pour elle d’enseigner sa langue et ainsi permettre à chacun de faire son chemin vers une citoyenneté active, il ne s’agit pas uniquement de former pour permettre aux nouveaux venus d’accéder à l’autonomie, à la dignité grâce au sentiment d’être utile au pays autant qu’à soi-même, il ne s’agit pas seulement de loger ceux qui sont nus, il s’agit surtout de faire partager l’idée de la fraternité. Et pour cela, la République doit être exemplaire. Elle doit éviter les faux semblant, affirmer clairement ce qu’elle peut faire et ce qu’elle ne peut pas ou pas encore. Et ainsi faire de chacun le gardien de ce qu’elle est dans un monde incertain, la seule clef de voute d’une société où chacun se doit de respecter, la couleur, la foi, les désirs de l’autre dès lors qu’ils n’entravent pas la liberté de chacun…

Didier Leschi

Préfet, directreur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration