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Cédric Lewandowski

Lucien Bonaparte, le prince républicain
Passés Composés

Lucien Bonaparte, le prince qui a sauvé la République

« Sic deinde, quicumque alias transiliet mœnia mia » (« Il en sera de même pour tous ceux qui oseront franchir mes remparts »). Telles sont les paroles que l’historien antique Tite-Live, dans son Histoire romaine, prête à Romulus après avoir assassiné son frère Rémus.

Dans Lucien Bonaparte, Le prince républicain, Cédric Lewandowski s’intéresse à un « grand oublié de l’histoire » dont il occupa pendant cinq ans, en tant que directeur de cabinet du ministre de la Défense, ce qui fut autrefois son bureau à l’hôtel de Brienne. Il était en effet écrit que Napoléon, tel Romulus, n’accepterait pas de faire entrer dans sa légende ce frère cadet insoumis. Un trait de caractère commun des rois de la péninsule italienne ?

Lucien est un homme des Lumières. A peine sorti de l’adolescence, il épouse la cause révolutionnaire. Brutus, comme il se fait alors appeler, en souvenir de celui qui assassina César pour « sauver la République », est exalté, passionné, éloquent et doté d’un tempérament de meneur, forçant son destin, et pour le pire et le meilleur, celui de sa famille en ces temps incertains. Adulte, que ce soit en France ou en exil en Italie, auprès du pape dont il deviendra l’un des proches, il est à la fois féru de sciences, homme de lettres et philosophe chrétien. Une complexité que sa femme résumera par cette épitaphe : « Religieux savant charitable ». Lucien est un prince éclairé de son temps.

Eclairée, la vie de Lucien Bonaparte est également éclairante sur la légende napoléonienne, ce qui est un intérêt majeur de cette biographie. Il est l’homme des dossiers difficiles. Président du Conseil des Cinq-Cents à 25 ans, il oppose sa sagesse politique à la nervosité d’un général Bonaparte qui manque de faire échouer le « 18 Brumaire » et fait ainsi aboutir un changement de régime compromis. Ministre de l’Intérieur à 26 ans, il met en œuvre la transformation de la France à travers la création des préfets, la ratification du Concordat ou la création de la Légion d’honneur. Ambassadeur à 27 ans, il est en première ligne dans la péninsule ibérique pour mener la vie dure aux Anglais. Malgré son tempérament de feu et une fâcheuse tendance à n’en faire qu’à sa tête, Lucien est un « zélé serviteur de l’État » comme aime le rappeler l’auteur dans une récente interview. Ce dernier y voit-il une intéressante inspiration personnelle ?

Plus touchante, enfin, est sa relation d’amour-haine permanente avec cet impérial frère. Si les rapports sont souvent orageux entre eux, il y a comme une irrésistible force qui les ramène toujours l’un vers l’autre. Comme un écho également, tant certains détails de leurs vies semblent se répondre, telle leur expérience respective de captifs de la Perfide Albion. Au crépuscule de son épopée, avec la moitié de l’Europe liguée contre lui et alors que beaucoup l’abandonnent, Napoléon trouve probablement en Lucien l’un de ses alliés les plus fidèles et les plus francs. Déçu dans ses idéaux républicains par « l’indigne abus » du pouvoir de son frère, Lucien n’en éprouve pas moins de l’admiration et de l’affection pour l’Empereur bientôt déchu. Par utopisme ou par amour fraternel ? Probablement un peu des deux.

« Mes frères ne sont rien sans moi ! Ils ne sont grands que parce que je les ai faits grands ; le peuple français ne les connait que par les choses que je lui ai dites ». Encore aujourd’hui, il y a une part de vérité dans cette affirmation de Napoléon, rapportée dans l’ouvrage de Cédric Lewandowski. Les frères et sœurs Bonaparte ne nous sont essentiellement connus que parce qu’ils se sont fondus dans le moule, à l’ombre de l’Empereur, placés par lui sur les trônes d’Europe, élevés aux plus hautes distinctions. Lucien Bonaparte n’était pas de ceux-là. Par sa passion pour son sujet, son expérience des arcanes du pouvoir et son analyse, le grand talent de Cédric Lewandowski est donc de s’être attaché à replacer dans la Grande Histoire le plus indépendant, le plus original mais peut-être aussi le plus précieux des frères de l’Empereur.

Dans une période troublée où beaucoup ont dû jouer des rôles, sans cesse se réinventer pour exister, Lucien a eu le mérite de ne pas changer, de rester fidèle à ses principes. En notre époque troublante, peut-on également y voir un exemple à suivre ?


Philippe MAGNET