« Ma vie avec Mauriac »

par Bernard cazeneuve

le regarde de
philippe langenieux-villard

A ceux qui s’étonnent qu’un homme politique puisse consacrer une part de son temps à l’écriture, voici une preuve supplémentaire que la France a bien de la chance de compter, parmi ceux qui la gouvernent, quelques belles plumes capables de dépasser le joug de l’actualité et la tyrannie des urgences.

L’ancien Premier Ministre surprend à l’évidence en décidant d’exprimer son admiration pour l’écrivain François Mauriac quand son public - pour ne pas évoquer ses électeurs - l’aurait plutôt attendu autour d’écrivains moins bordelais, moins bourgeois et moins gaulliste que l’auteur du « Noeud de vipères » ou du fameux « bloc-notes » de l’Académicien français, prix Nobel de la littérature en 1952.

Ces titres et ces honneurs ne constituent en rien la cause d’une vieille complicité que Bernard Cazeneuve dévoile au fil des pages tout en admettant « n’avoir eu que  7 ans lorsque Mauriac est mort ». « Mon enfance était solitaire et le monde me semblait hostile », raconte Bernard Cazeneuve pour expliquer son goût des conversations de grandes personnes au plus jeune âge, et le temps consacré à lire pendant les vacances d’été.

C’est ainsi qu’il découvre Mauriac, ses romans et, avec moins d’entrain, son théâtre. Il surprend « la violence à peine contenue » des vérités exprimées dans la description de la société bourgeoise dont l’écrivain romance les apparences sociales en « jetant une torche dans les abîmes » de ses calculs, voir de ses vices et de ses turpitudes.

L’ancien Premier Ministre, convaincu que François Mauriac a beaucoup trempé sa plume romancière dans les souvenirs d’enfance au risque de créer une oeuvre « qui manque d’unité » a force de fragments reconstitués de sa mémoire, reconnait en revanche l’intransigeance implacable du journaliste du « bloc-notes » dont l’éthique et la hauteur de vue forcent l’admiration.

Dans son regard posé sur les évènements du monde, Mauriac apparait ainsi comme un observateur exigeant,  cherchant à concilier sa foi et une condamnation absolue « des meutes constituées dont il percevait mieux que quiconque la propension à la violence ».  

Et Bernard Cazeneuve admet: « Chez le chrétien attaché au message universel du Christ davantage qu’aux institutions de l’église, je trouvais une source d’inspiration pour mes propres combats, moi le laïc qui me tenais à une saine distance des toutes les religions ».

C’est précisément dans le dernier chapitre intitulé « des arbres et des pierres » que Bernard Cazeneuve explique en quoi François Mauriac, témoin de l’actualité des années 1960 à 1980, écrivain politique commentant les décisions et les attitudes de ceux qui les prennent, se hisse alors au plus au niveau de l’intelligence et de la perspicacité. Il sait gré au polémiste d’avoir toujours défendu, au nom de la vérité de leurs intentions et de leur lucidité, les personnalités de Pierre Mendes-France et du général de Gaulle « placés l’un et l’autre au surplomb du marécage ».  Il rappelle enfin les liens originels qui rapprochaient François Mitterrand de François Mauriac, et la connivence discrète entre les deux hommes. « Mauriac a toujours reconnu le caractère trempé et l’audace de Mitterrand », constate Bernard Cazeneuve qui livre dans les dernières pages de l’ouvrage ses souvenirs d’adolescent, déjà attiré par l’action politique, impatient d’assister aux débats de l’émission télévisée « A armes égales », à une époque en noir et blanc, certes, mais avec des protagonistes d’immense talent.