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amin maalouf

de l’Académie française, écrivain, Président du Jury du Livre Politique 2020

Un printemps de la réflexion politique

Ceux qui suivent de près la production littéraire en parlent quelquefois à la manière des œnologues. Certains millésimes leur paraissent excellents, quand d’autres sont jugés plus ordinaires, voire médiocres. Invité à présider pour 2020 le jury du Prix du Livre politique, mon espoir était de tomber sur une année exceptionnelle. Il me semble que c’est le cas.

Si j’en suis enchanté, je n’en suis pas vraiment surpris. Sans doute y a-t-il, en la matière, divers impondérables, mais il y a aussi des explications rationnelles. La France est manifestement en pleine mutation. Chacun peut constater que la droite est en crise, la gauche en désarroi, et le système politique fortement remis en cause. On s’interroge de manière poignante sur l’avenir de la démocratie, de la laïcité, de la solidarité protectrice, comme du mode de vie.

Les plus vénérables de nos certitudes sont malmenées, et le monde qui nous entoure ne fait qu’aggraver nos angoisses. La construction européenne est en panne, on ne sait pas encore si elle retrouvera, après le Brexit, un second souffle. Elle pourrait se ressaisir et rebondir, comme elle pourrait s’effilocher.

Dans le même temps, notre amitié séculaire avec les Etats-Unis est mise à rude épreuve. Les puissances occidentales continuent, par habitude, à se dire alliées, mais nul ne sait plus vraiment à quoi cela correspond. Est-ce pour défendre certaines valeurs ? Mais qui, aujourd’hui, les incarne ? Est-ce pour s’opposer aux nouvelles puissances qui se lèvent à l’orient, et qui se déploient ? Nous paraissons, en tout cas, bien démunis face aux turbulences de la planète, qui vont pourtant affecter durablement notre propre existence.

Tout cela provoque, forcément, une grande inquiétude. Mais cela suscite aussi, et il est permis de s’en réjouir, une formidable stimulation intellectuelle. Des écrivains et des chercheurs de toutes disciplines se penchent sur nos cités, nos campagnes, nos hôpitaux, nos écoles, pour observer, comparer, rendre compte, et suggérer des solutions.

Nous vivons un printemps de la réflexion politique. Qu’en sortira-t-il ? Un nouveau système de pensée ? De nouvelles institutions ? Une nouvelle manière de pratiquer la démocratie ? Il est trop tôt pour le dire, mais cette aspiration à la lucidité est réconfortante, et ce foisonnement d’idées nous remplit d’espoir.